« Un lâcher non-autorisé d’animaux nuisibles » organisé et revendiqué par la Coordination Rurale de la Haute-Vienne

15 juin 2019, Limoges. Un « lâcher non-autorisé d’animaux nuisibles » organisé et revendiqué par la Coordination Rurale de la Haute-Vienne, un syndicat agricole qui ne fait pas mystère de ses positions en faveur de la régulation de tous les animaux sauvages susceptibles de porter atteinte aux cultures et à l’élevage et réclamant toujours davantage de moyens de « se défendre contre les nuisibles » comme contre le loup. 

Or à l’auditorium de la Bibliothèque de Limoges ce samedi-là, une association aux idées diamétralement opposées, le CLAMA (Collectif limousin d’action militante pour les animaux), organisait avec le concours de l’ASPAS (Association de sauvegarde et de protection des animaux sauvages) une après-midi  pédagogique consacrée aux grands prédateurs et aux espèces dites ‘’nuisibles’’. La CR87 a-t-elle vu rouge? 

19 juin, bibliothèque de Limoges, 2 corneilles, 1 corbeau freux, 1 pie et 2 ragondins lâchés dans la salle.

La réunion débutait à peine quand plusieurs individus déterminés firent irruption et, ouvrant les cages qu’ils avaient amenées avec eux, libérèrent deux ragondins et quatre corvidés affolés. Dans une salle recevant du public.

Cette action aux allures d’opération-commando, la Coordination Rurale en fait état sur son site internet. La raillerie perce dans le propos : « Emilie Pons, Présidente de la CR87 a souhaité mettre ces bobos écolos, qui n’ont aucune connaissance de l’élevage et du travail d’agriculteur, en situation réelle. […] C’est donc un cas pratique qu’il leur a été proposé, lâcher de biodiversité, à eux de prendre bien soin de leurs nouveaux pensionnaires. Pas sûr qu’ils les aient encore récupérés, aux dernières nouvelles ils tentaient de rattraper les ragondins avec un carton… » 

Que s’agissait-il de démontrer ? Qu’il est difficile de se saisir de ragondins et d’oiseaux avec du matériel de conférence ? Certes. De fait, il fallut l’intervention de la police pour rattraper les animaux et ramener le calme. 

Pour Crow-Life, l’opération signe un passage à l’acte inquiétant motivant de tirer la sonnette d’alarme. Quand en guise d’argument,  des individus sont capables de mettre en danger autrui et de se servir d’animaux vivants comme d’une arme pour susciter la panique et entamer ainsi la liberté d’expression d’autrui alors, oui, il y a lieu de s’inquiéter et de faire appel à la loi. L’affaire est autrement plus sérieuse et plus grave que le lâcher d’une malheureuse corneille par une septuagénaire passionnée d’oiseaux, traduite en justice et condamnée pour son acte. 

L’association organisatrice a déposé plainte contre l’auteur des faits. Ayant cherché à obtenir des nouvelles, il lui aurait été répondu que sa plainte attendait toujours sur le bureau du procureur. Les vacances judiciaires ? Un défaut de rédaction ? Quelle explication envisager à l’absence d’instruction du dossier? 

Parce que les faits ne se limitent pas au fameux  « lâcher non-autorisé d’animaux nuisibles » (lequel, rappelons-le, expose le contrevenant à une amende de catégorie 5). Il y a quelques motifs à ne pas passer l’éponge, à savoir :

  • Le transport et l’utilisation de spécimens appartenant à une espèce invasive, ce qu’est le ragondin, lesquels sont strictement interdits par la loi Biodiversité et passibles de deux ans d’emprisonnement et 150 000€ d’amende (Art.L.415-3 du CE)
  • La mise en danger d’autrui par introduction et lâcher d’animaux sauvages dans un établissement public en violation de l’obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par le règlement de la Bibliothèque de Limoges lequel interdit expréssément d’y « introduire des animaux à l’exception des chiens-guides pour malvoyants ». L’Art.223-1 du Code Pénal réprime en amont de la survenue de tout dommage la mise en danger d’autrui et la peine encourue par l’auteur des faits est 5 fois plus sévère lorsqu’il s’agit d’une personne morale. 

Après, il reste à envisager que la CR87 ait pu bénéficier de complicités intérieures sinon comment expliquer qu’un groupuscule d’individus transportant des animaux dans des cages ait pu pénétrer sans être rappelé à l’ordre à l’accueil de la Bibliothèque et, ce, dans un contexte de Plan Vigipirate  Eté-Rentrée 2019 renforcé (actif du 7 mai au 18 oct.)? Et comment expliquer que la municipalité n’ait ou pas eu vent de l’affaire ou qu’elle ait décidé de fermer les yeux? 

Des corvidés et des ragondins ne sont pas des loups mais à quand un lâcher de loups au cœur d’un village ou au sein d’une assemblée afin de susciter la peur et de convaincre par la force qu’il faut l’augmentation des quotas, le prélèvement des juvéniles, etc ?

Le silence qui entoure cette affaire est tout-à-fait extraordinaire. Du deux poids deux mesures.

Quant à dénoncer la méthode qui consiste à utiliser des animaux vivants comme un vulgaire échantillon de démonstration dans un but de lobbying voire comme une arme de persuasion propre à susciter la panique et la peur, quels que soient les animaux utilisés à de telles fins, corvidés ou autres, le procédé est à dénoncer haut et fort. Parce qu’il est cruel pour les animaux, dangereux pour les gens et juste…inacceptable.     

L’empathie aurait pu, dû, amener l’auteur des faits à considérer que des personnes présentes dans l’assemblée ce jour-là pourraient subir un choc émotionnel et se sentir menacées par le largage de corvidés et de ragondins eux-mêmes paniqués et libres de leurs mouvements. Dans un tel cas, des réactions de fuite, de défense et d’agression sont prévisibles de part et d’autre – animaux et humains. Percevant une double menace, simultanément à terre et en l’air, un individu cherchera vraisemblablement à s’y soustraire soit en fuyant (des risques inhérents aux mouvements de foule :  bousculade, blessures, …) soit en attaquant le premier (et dans ce cas, des risques de blessure de part et d’autre). 

Le but de l’opération était-il de mettre les gens en situation de penser qu’il est légitime de chercher à se débarrasser / tuer de tels animaux ? Peut-être. Mais encore une fois est-il normal d’imposer à autrui ses idées par la violence et par la peur, de piéger et de détenir des êtres vivants pendant une durée et dans des conditions incontrôlables en prévision de les utiliser à ces fins et de les exposer à un stress insoutenable (milieu, situation…), à un risque de blessures ou de lynchage ?  Belle démonstration en vérité qui consiste à susciter des réflexes de défense ou d’agressivité pour mieux les dénoncer et justifier ainsi la mise à mort. 

Hall d’accueil de la DREAL à Limoges : Limaces écrasées, pies sonnées et déplumées, souris blanches baignant dans leur sang. La Coordination rurale venait de mener une opération intitulée « Lâcher de biodiversité » (photo Le Populaire).. 

Enfin, la récidive est inquiétante qui impose l’idée de ‘’méthode’’.  Ce jour-là effectivement, la CR87 n’en était pas à son premier coup d’essai : Quand Bertrand Venteau, l’actuel président de la chambre d’agriculture de Haute-Vienne, était encore à la tête de la CR87, une opération commando similaire à celle du 15 juin avait été conduite par le syndicat dans le hall d’accueil de la DREAL. Cinq ans plus tôt, en mai 2014, l’action avait déjà été baptisée ‘’lâcher de biodiversité’’ et consistait en la libération d’un échantillon d’animaux sauvages vivants (pies, corneilles, souris, limaces…). Des journalistes avaient été conviés sur place.

http://www.terredactu.com/pour-dire-non-à-lécologie-coordination-rurale-sacrifie-le-soldat-souris.html

https://www.lepopulaire.fr/limoges-87000/agriculture/manif-des-agriculteurs-a-la-dreal-ce-mardi-apres-midi_11011042/

Les corneilles (affamées ?) mangeant des souris blanches (photo Terre d’Actu)

Si les personnes ont changé, l’ex-Secrétaire Générale de la CR87 a succédé aux fonctions occupées par Bertrand Venteau à la suite de son élection à la chambre d’agriculture début 2019, la méthode, elle, n’a pas changé. 

Interviewé dernièrement par Crow-Life, un témoin de la scène de 2014 s’en souvenait parfaitement. Sous couvert de l’anonymat, il nous a rapporté qu’un animal visiblement mal en point s’était fait attaquer par un autre (effet d’une privation alimentaire ?) et qu’il était ensanglanté. 

Pour les faits qui se sont déroulés en 2014, il y a prescription. Pas pour ceux qui se sont produits cet été. 

Combien de récidives, d’actions quasi-terroristes faudra-t-il déplorer avant que leurs auteurs soient traduits en justice ?